Comment créer une startup technologique rentable en passant par de nombreuses levées de fonds successives ?

Récit analytique de la startup Mirakl, SAS créée par Philippe Corrot et Adrien Nussenbaum en 2011. Problématique : comment créer une startup technologique rentable en passant par de nombreuses levées de fonds successives ? La réponse Sharers à cette problématique vous permettra d'avoir les clefs financières de base pour pouvoir créer une startup technologique rentable en analysant une situation multi-levées de fonds.

Hugo Berreby

3/23/20258 min read

Problématique : comment créer une startup technologique rentable en passant par de nombreuses levées de fonds successives ?

Une startup technologique est une jeune entreprise qui offre un ou plusieurs produits hardware ou bien une ou plusieurs solutions software, voire les deux.

Une entreprise rentable est une entreprise qui génère un chiffre d’affaires qui lorsqu’on en déduit les charges et les impôts a un delta qui est positif.

De nombreuses startups effectuent plusieurs levées de fonds successives sans nécessairement être rentables. En effet, beaucoup de jeunes entreprises s’appuient sur des éléments autres que leurs résultats financiers pour lever des fonds : un produit ou une solution prometteuse ou encore un tracking record commercial important qui ne sont pas gage de rentabilité. Les investisseurs parient alors sur des projets prometteurs qui nécessitent des investissements ne garantissant pas une rentabilité immédiate.

Dans le cas de Mirakl, l’entreprise a levée 2,5M€[1] en 2012 afin de financer le développement de son produit phare, le développement de marketplaces pour le compte de tiers. Afin de lancer son activité, l’entreprise s’appuie notamment sur le module de formation Mirakl Client Success pour accompagner les clients sur les changements impliqués par l’achat de la solution et les choix stratégiques nécessaires[2]. Mirakl propose en effet une solution de marketplace aux entreprises souhaitant externaliser le développement de leur place de marché en ligne.

Les premiers clients de Mirakl furent des startups dont l’offre est basée sur la vente en ligne et des grands groupes qui ont développé leur marketplace. Mirakl a su conquérir ses premiers clients grâce à un produit surfant sur un enjeu de société majeur, l’apparition de la marketplace dont Amazon a été le principal protagoniste après Ebay. Mirakl propose en effet un produit qui permet à une entreprise d’obtenir sa marketplace en lui confiant son développement ainsi que sa maintenance, soit la gestion technique.

Mirakl a fait le choix de la SAS comme structure juridique. La SAS est une structure juridique qui permet par sa flexibilité légale d’avoir davantage de marge de manœuvre qu’une SA pour sa gouvernance. En effet, les statuts d’une SAS permettent légalement de structurer avec davantage de marge de manœuvre les prises de décisions de la direction et du conseil d’administration de l’entreprise. Mirakl a ainsi probablement fait le choix de la SAS afin de pouvoir structurer sa gouvernance et ses statuts avec une certaine latitude qui est souvent conseillée par les avocats pour se donner de la marge dans le projet. Les différentes levées de fonds successives sont notamment des sujets que les statuts de la SAS ont dû permettre. En effet, il est important d’aborder dans des statuts les sujets susceptibles de diviser des associés ou bien de prêter à débat. Les levées de fonds qui amènent de nouveaux associés sont ainsi des sujets qu’il est conseillé de préparer dans des statuts avec des clauses d’agrément ou encore des droits préférentiels de souscription.

Quelles ont été les premiers obstacles rencontrés par Mirakl ?

Les premiers obstacles rencontrés par Mirakl ont été des questions de cohérence d’apport du produit par rapport au besoin du client. Mirakl s’est en effet appuyé sur l’idée que le business model de la marketplace était le seul rentable[3] dans le e-commerce pour se développer, c’est-à-dire pour gagner des clients. Le problème est qu’une place de marché n’est pas une structure d’activité que toutes les entreprises peuvent se permettre d’avoir pour pouvoir garder la cohérence de leur stratégie, voire de leur identité. En effet, une marketplace est un espace de vente où différents acteurs de vente peuvent entrer en relation avec les clients de cette même marketplace qui détient la relation client. Un acteur du e-commerce lambda n’est pourtant pas nécessairement une marketplace à la base, comme certains des premiers clients de Mirakl. Ces derniers ont pourtant fait le choix de Mirakl, ce qui pouvait remettre en cause leur stratégie et tout simplement remettre en question la cohérence du choix de Mirakl.

Mirakl a ainsi vu son chiffre d’affaires augmenter sans que ses clients n’aient la valeur ajoutée escomptée apportée par le produit car une marketplace n’est pas cohérente pour tous les projets. Cela permet d’aborder le sujet de la rentabilité de Mirakl, la croissance n’étant pas nécessairement gage de rentabilité. Cela rejoint le début du récit analytique où le tracking record commercial est abordé pour discuter de la rentabilité des projets qui lèvent des fonds. En effet, pour pouvoir être rentable, une entreprise doit générer un résultat positif après impôts, ce qui a été atteint après 5 levées de fonds en 2023[4] sur son activité historique, c’est-à-dire sur la vente de marketplaces.

La levée de fonds de 2021 a ainsi aidé Mirakl a atteindre la rentabilité sur son activité historique en lui permettant notamment très probablement de régler ses charges telles que les salaires et les dettes fournisseurs. La levée de fonds de 555M$ a ainsi permis de maintenir l’entreprise à flots après 9 ans d’investissements ou de pertes compensés par des levées de fonds de rattrapage comme les série B, C, et D ou de financement comme la série A.

A partir de la rentabilité atteinte en 2023 sur la vente de places de marché, comment a fait Mirakl pour la maintenir en 2024 et atteindre la rentabilité sur les autres activités ?

Pour maintenir sa rentabilité en 2024 sur son activité historique, Mirakl s’est très probablement appuyé sur son revenu récurrent annuel (ARR - annual recurring revenue) qui lui a permis de générer une marge positive sur cette activité[5]. L’entreprise a développé 4 autres activités au service de son activité principale : une de paiement des vendeurs de la marketplace du client (Payout), une de gestion du catalogue des vendeurs (Catalog Platform), une de vente de publicité sur les marketplaces (Ads) et une de relation entre les marketplaces via du partage d’informations business (Connect). L’entreprise n’était pas rentable sur ses activités secondaires et cela pose la question de la rentabilité de l’entreprise en général face à l’afflux de fonds grâce aux financements non organiques.

Les levées de fonds dont a pu bénéficier la startup Mirakl ont parié sur la levée de fonds suivante pour générer un retour sur investissement ou bien pour maintenir à flot l’entreprise et sauver la mise des investisseurs qui ont remis au pot, les investisseurs dits historiques. Pour créer une startup technologique rentable en passant par plusieurs levées de fonds, les fondateurs doivent partir d’un business plan technologique réaliste en termes de rentabilité, c’est-à-dire que les coûts doivent être inférieur aux revenus. La première levée de fonds d’une startup technologique doit permettre de financer les investissements dans la technologie, c’est-à-dire dans le hardware ou dans le software. Jusqu’aux années 2000, les startups technologiques investissaient dans le hardware et dans le software tandis que de nos jours, elles investissent en grande majorité dans le software, c’est-à-dire principalement dans le développement de solution en Saas, autrement dit dans des solutions qui sont vendues comme des services exploitées à partir d’un même développement. C’est ce que propose Mirakl avec son produit principal Mirakl Platform. Le réalisme d’un business plan technologique dépend de la capacité de l’entreprise à vendre un produit ou une solution dont les coûts variables sommés aux dépréciations et amortissements liés aux investissements du développement technologique sont inférieurs au chiffre d’affaire. La différence entre un produit ou une solution technologique est qu’un produit correspond à un achat ayant une durée de vie finie dépendant de la consommation de l’acheteur tandis qu’une solution dépend en termes de durée de service de la durée du contrat pour lequel elle a été achetée. Mirakl vend par exemple une solution de plateforme de marché en Saas qui est par définition contractualisée pour une durée finie avec une exploitation, une assistance et une maintenance dont la durée est contractualisée avant que la prestation ne démarre.

Pour revenir à la rentabilité d’un projet technologique, elle dépend comme dit précédemment des coûts variables liés à l’activité de l’entreprise ainsi que des dépréciations et des amortissements résultants des investissements nécessaires au lancement du projet.

Les coûts variables incluent notamment les coûts d’hébergement ou les coûts qui permettent de vendre la solution ou le produit qu’ils soient des coûts variables liés aux salaires des commerciaux ou des coûts dépendant de prestataires numériques aidant à les vendre.

Les dépréciations sont liés à la perte de valeur annualisée du développement de la solution ou du produit qu’il convient de formaliser avec les conseils d’un spécialiste, un comptable ou un expert-comptable. Le développement est principalement représenté par les salaires nécessaires au développement de la solution/produit. Pour arriver aux coûts de développement, il convient donc de sommer les salaires nécessaires au développement de la solution/produit qu’ils soient de l’ordre du code ou de l’ordre du design et de l’ergonomie. Il convient chaque année de retirer au chiffre d’affaires la dépréciation théorique du développement technologique vendu. La dépréciation peut être proportionnellement égale au total du coût de développement divisé par la durée de vie estimée du développement. Elle peut également être égale à une valeur croissante s’il est estimé que le produit perd de plus en plus de valeur au fil de sa durée de vie et décroissante si le produit prend de la valeur au cours de sa durée de vie. Il est donc logique de penser qu’un produit ou une solution se dépréciant avec le temps sans investissement, il ou elle perd soit une valeur constante comme la dépréciation constante annuelle le permet, soit perd une valeur variable et croissante selon un chiffrage qu’il revient à l’entreprise de formaliser avec son conseil.

Les amortissements sont des amortissements des investissements tels des ordinateurs ou des logiciels nécessaires à l’activité de l’entreprise. Les amortissements ont également une valeur constante selon la règle comptable en vigueur pour les biens matériels, et variable ou constante s’il s’agit de logiciels selon les conseils du ou des spécialistes consultés.

En conclusion, pour être rentable une entreprise technologique doit faire attention à ses coûts variables commerciaux et au niveau de ses investissements et à leur rapport avec le chiffre d’affaires pour qu’une marge positive puisse être générée. Les levées de fonds doivent par ailleurs permettre de financer le développement technologique qui est par définition une partie intégrante des investissements pour ne pas dire la partie majoritaire et essentielle.

Une question qui se pose en raison des nombreuses levées de fonds successives que réalisent de nombreuses startups est la rentabilité pour les investisseurs sur laquelle nous reviendrons à travers le récit analytique de la startup Swile.

Hugo BERREBY, fondateur Sharers


Sources

[1] 2 https://www.entreprendre.fr/comment-mirakl-start-up-francaise-est-devenue-un-leader-mondial/

[3] https://www.entreprendre.fr/comment-mirakl-start-up-francaise-est-devenue-un-leader-mondial/

[4] https://www.maddyness.com/2024/02/07/mirakl-poursuit-sa-croissance-et-sa-route-vers-la-rentabilite/

[5] https://www.mirakl.com/fr-FR/news/mirakl-resultats-annuels-2024-momentum